Interview de Jean-Michel Guillon, directeur du Personnel de Michelin

 




« Nous  vivons une période passionnante car les personnes reviennent au cœur de la stratégie de l’entreprise. »

 

Jean-Michel Guillon a occupé plusieurs fonctions au sein du groupe Michelin.  Il a eu différentes responsabilités commerciales en France, au Brésil, en Suède, en Allemagne et de directeur de business aux États-Unis. Il devient directeur du Personnel dès 2008 et rejoint  le comité exécutif du groupe.

Le groupe Michelin est partenaire du Congrès.

 

Propos recueillis par Christel Lambolez.

 

Comment envisagez-vous votre métier aujourd’hui ?


L’appellation « direction du personnel » semble désuète pour certains. Nous avons sciemment voulu la garder car, depuis plus de 100 ans, nous estimons que notre rôle est d’abord d’être au service de nos salariés. Nous entretenons un contact direct avec eux au travers de gestionnaires de carrière qui orientent chaque personne au cours des étapes de sa vie professionnelle.  Cette proximité est un excellent moyen  de renforcer le développement et l’engagement de tous au sein de l’entreprise.

Nous sommes aussi au service des managers et du business pour fournir les bonnes compétences, au bon moment et au meilleur coût. Au-delà des « people review » et de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC),  nous les accompagnons sur le recrutement, la formation, le staffing tout comme sur la maîtrise de leur masse salariale.

Nous sommes enfin au service de l’entreprise en ce qui concerne sa responsabilité sociale et sociétale. Nous orchestrons à ce titre toutes les initiatives liées à la diversité ou à l’implication dans la vie locale.


Pouvez-vous  nous exposer votre démarche pour arriver à laisser davantage d’autonomie et de responsabilité aux équipes ?


On constate qu’aujourd’hui  la compétitivité n’est plus seulement une question de productivité, c’est de plus en plus une question de réactivité et d’innovation. Nous sommes convaincus que donner plus d’autonomie aux personnes et aux équipes favorise l’engagement, l’agilité et aussi la créativité. Cela passe par une remise en cause profonde du système de pilotage des organisations. Les processus, les standards et les indicateurs sont des outils essentiels pour améliorer la productivité, il ne faut cependant pas devenir esclaves de ces outils. Le « comment » a aujourd’hui pris trop de place dans notre approche du travail, il faut revenir au «pourquoi ». Cela conduit aussi à une évolution radicale de nos modes de management  et notre service du Personnel a un rôle majeur à jouer dans cette transformation.


Vous avez mis en place des usines pilotes pour expérimenter ce nouveau type de management. Quel est votre constat au bout de trois ans ?


Nos réflexions et notre action sur l’évolution du modèle de management ont d’abord été menées  dans l’industrie sur des cellules de production d’une quarantaine de personnes. Ces cellules nous ont servi de « démonstrateurs ». Dans le cadre d’un système de production bien établi,  nous avons donné aux salariés, sur les domaines de leur activité qu’ils choisissaient, la possibilité de définir eux-mêmes leurs objectifs et la façon de les atteindre.  Trois ans plus tard, nous constatons que le taux d’engagement des personnes en « autonomie » a progressé et que la productivité s’est également accrue.  Ces cellules de production sont plus réactives et agiles, elles sont donc plus aptes à s’adapter aux fluctuations du marché.  Pour permettre à ces cellules de production de continuer à respirer et à progresser, nous avons mis en place dans six usines du groupe ce que nous avons appelé le  « management autonome de la performance ». Là encore nous constatons que  la réussite est liée à l’évolution des modes de management… du directeur de l’usine à celui du responsable de l’îlot de production. Ils étaient des chefs, ils deviennent des coaches.  Bien entendu,  il faudra à terme que le système global de pilotage du groupe évolue pour que le changement se produise sur l’ensemble des entités.


Est-il  inéluctable pour la survie de nos entreprises de changer nos façons de travailler ?

C’est une question de survie très certainement, je préfère cependant le voir comme une formidable opportunité de développement et de croissance  pour une entreprise comme la nôtre déjà présente dans plus de 170 pays. Partout dans le monde, notre enjeu de croissance passe par l’agilité et l’innovation. Dans un environnement de plus en plus ouvert et connecté, il nous faut pouvoir bénéficier de l’intelligence de tous, à travers un management qui favorise la libération de toutes les énergies. La digitalisation de notre environnement est un formidable moyen d’accélérer cette ambition. Que nous le voulions ou non, elle va complètement modifier à terme nos façons de travailler et de manager. C’est une évidence.


Quel rôle pour la fonction RH ?


Nous sommes en face d’un changement profond de culture pour les salariés, les managers et l’entreprise. La fonction RH a bien entendu un rôle prépondérant à travers  la transformation des organisations, des systèmes de pilotage et des modes de management. En même temps que nous agissons sur les autres, il nous faut aussi agir sur nous-mêmes : remettre en cause nos propres processus, nos outils et nos méthodes.  Dans une démarche de responsabilisation, la formation des salariés doit davantage privilégier la polyvalence et  les « soft skills ». De même, l’évaluation de la performance doit prendre en compte une dimension plus collective. Autant d’évolutions auxquelles nous nous préparons en amont pour réussir cette transformation profonde de l’entreprise.


Les mutations font- elles peur ?


Toutes les mutations peuvent faire peur mais, paradoxalement, nous  vivons une période passionnante car les personnes avec leurs intelligences « libérées » reviennent au cœur de la stratégie de l’entreprise. C’est une motivation importante pour  l’ensemble de mes équipes car ce nouveau défi replace en même temps la fonction RH au centre de cette stratégie.



 


Powered by AVANTI Technologies